Les images ont fait le tour de la planète. Laissant son adversaire du jour, l'Italienne Angela Carini, en larmes au milieu du ring de l'Arena Paris-Nord de Villepinte, jeudi 1er aout, la boxeuse algérienne Imane Khelif s'est avancée sereinement en direction des quarts de finale des JO de Paris 2024 après un huitième de finale expéditif: 46 secondes de combat seulement.
Mais depuis, l'Algérienne de 25 ans, pointée pour son hyperandrogénie, est la cible d'une vague de cyberharcèlement et de critiques puisque, selon ces mêmes critiques, sa présence contreviendrait aux règles éthiques du sport. Explications.
Qui est Imane Khelif ?
Issue d'une famille modeste d'un village rural du nord-ouest de l'Algérie, la boxeuse de 25 ans, ambassadrice Unicef, est en lice pour les quarts de finale des Jeux olympiques de Paris 2024 dans la catégorie des -66kg où elle affrontera la Hongroise Anna Luca Hamori, ce samedi 3 août. Si elle s'était déjà qualifiée pour des quarts de finale olympiques (ses premiers), en 2021 à Tokyo, elle s'était finalement inclinée avant de connaître une première consécration l'année d'après. À l'âge de 23 ans, dans son pays, elle avait remporté l'or aux Jeux méditerranéens d'Oran en 2022 dans la catégorie des poids super-légers (-63 kg). Un mois plus tard, elle confirmait même son statut en remportant les championnats d'Afrique de boxe amateurs dans la même catégorie. Elle est devenue, la même année, la première Algérienne à atteindre la finale des championnats du monde de boxe. Exploit qu'elle réitèrera l'année suivante.
Pourquoi son cas fait parler ?
Celle qui a longtemps ramé pour payer les frais d'entraînement de sa salle de boxe et espérer vivre de sa passion, enchaînant les petits boulots entre collectes de ferraille et commerce de pains ambulant sur les bords de routes, est aujourd'hui moins connue pour ses talents de boxeuse ou son parcours que par une polémique montée cette semaine. C'est sa victoire en 46 secondes sur abandon de l'Italienne Angela Carini, après un seul coup reçu au nez, qui a allumé la mèche.
Accompagnée par les déclarations d'autres membres du gouvernement italien, la première ministre Giorgia Meloni a dénoncé, sur X, "un combat qui n'était pas sur un pied d'égalité". Même son de cloche du côté du patron de la même plateforme X, Elon Musk, qui est allé de ses retweets sur le caractère inéquitable de la participation d'Imane Khelif aux Jeux. Dans leur viseur: l'hyperandrogénie de l'athlète. D'autres personnalités influentes comme JK Rowling ou Richard Dawkins ont suivi le mouvement, parfois avec des propos transphobes, alors même qu'Imane Khelif est née femme et se définit comme femme.
Qu'est-ce que l'hyperandrogénie ?
Question épineuse dans le sport depuis plusieurs années, l'hyperandrogénie est une présence excessive d'androgènes (hormones sexuelles mâles) circulants dans le sang chez une femme. Elle se caractérise notamment par un taux plus élevé de testostérone, hormone qui favorise le développement des muscles. Quid de la performance des sportives touchées par cet excès d'hormones masculines? Le sujet divise le milieu sportif, certains y voient un avantage (dont la réalité est contestée) et une forme même de dopage. Le cas de la Sud-Africaine Caster Semenya, athlète hyperandrogène championne du monde du 800m aux Mondiaux 2009, avait déjà fait couler beaucoup d'encre à l'époque et s'était conclu sur une interdiction de compétition d'un an après l'échec à des tests d'éligibilité de genre. Un même sort que souhaitent les détracteurs d'Imane Khelif.
Y a-t-il des précédents à cette affaire ?
Oui, et c'est là où se situe le nœud de l'affaire. L'Algérienne avait déjà été exclue des Mondiaux de boxe en mars 2023, à New Delhi. Une décision prise par la très décriée fédération internationale de boxe (IBA) après que l'athlète a échoué à répondre aux tests d'éligibilité pour une participation en catégorie féminine. Tout comme la Taïwanaise Lin Yu-ting, elle aussi en lice aux Jeux de Paris. Une disqualification en raison de "taux élevés de testostérone", précise la fiche de la boxeuse algérienne fournie par le Comité international olympique (CIO). À l'époque, et malgré le secret médical, le président de l'IBA avait même déclaré à l'agence russe Tass que des tests ADN avaient prouvé chez Khelif la présence de "chromosomes XY", système de détermination sexuelle généralement caractéristique des hommes. Une affirmation dont la véracité reste à déterminer.
Dans un communiqué publié hier, l'IBA (qui parle d'une disqualification "basée sur deux tests", celui des Mondiaux 2023 mais aussi un lors des Mondiaux 2022, dont Khelif n'avait pourtant pas été exclue) explique que les deux boxeuses "n'ont pas passé un examen pour la testostérone" mais "un test séparé et reconnu, dont les détails restent confidentiels" mais qui "a indiqué de façon concluante que les deux athlètes n'atteignaient pas les critères d'éligibilité nécessaires" et qu'elles avaient "un avantage compétitif sur les autres compétitrives féminines". Le CIO, lui, évoque dans un communiqué deux athlètes "victimes d'une décision soudaine et arbitraire de l'IBA (...) sans une procédure régulière" et pointe le patron de l'IBA (Umar Kremlev) pour avoir pris cette décision "seul" avant de la voir ratifiée par son board.
Qu'en dit le Comité international olympique ?
En plein conflit avec l'IBA, banni du monde olympique après (entre autres) de multiples affaires de corruption, le CIO a réagi ce jeudi soir pour défendre l'athlète par un communiqué offensif mettant en doute la fiabilité de la procédure des tests réalisés par la fédération internationale de boxe, dont elle dénonce depuis des années les méthodes. L'IBA, discréditée par des scandales d'arbitrage à répétition, a d'ailleurs perdu l'organisation des tournois olympiques de boxe, au profit d'un organe interne au CIO.
"Tous les athlètes participant au tournoi de boxe des Jeux de Paris respectent les règles d'éligibilité et d'inscription à la compétition, ainsi que toutes les règles médicales applicables établies par l'Unité de Boxe Paris 2024. Comme pour les compétitions de boxe olympiques précédentes, le sexe et l'âge des athlètes sont basés sur leur passeport", précise le communiqué. "Ce sont des femmes dans leur sport, et il est établi dans ce cas que ce sont des femmes", avait déjà déclaré Mark Adams, le porte-parole du Comité international olympique (CIO), mardi lors d'une conférence de presse, en refusant de citer le nom de l'Algérienne et de la Taïwanaise.
A-t-elle des chances de médailles ?
Déjà finaliste lors des Mondiaux 2022 et 2023 (avant d'être exclue par l'IBA lors de cette dernière édition) et vainqueure du tournoi Open des États-Unis disputé en juin dernier, Imane Khelif est l'un des fers de lance de la délégation algérienne alors que la dernière médaille remportée par l'Algérie en boxe remonte à 2000, aux Jeux de Sydney. Mais avant un potentiel sacre olympique, elle devra se défaire de la Hongroise Anna Luca Hamori, ce samedi 3 août. En cas de victoire, elle sera assurée de ramener une médaille à la maison, restera à savoir la couleur.
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